• Cirques, joué aux Métallo le 10 avril à 20 heures

    Un enfant solitaire mais nullement fils unique, avec ses deux chiens et son chat, croise un cirque stationnant dans le terrain vague en bas de chez lui. Cloîtré dans sa maison au milieu de nulle part, au sein d’une famille traversée par la folie et le désespoir, il voit dans l’apparition fantasque des ces nouveaux habitants le moyen de s’évader temporairement d’une réalité étouffante. Ainsi le cirque, assimilé à un noyau familial exubérant, lui offre une compréhension  de l’animalité de son frère et de la force spectaculaire de son père. Cette parenthèse onirique lui donnera la possibilité de tresser le monde des adultes à celui des chimères et de l’enfance.
     
    Une pièce de la Compagnie des Treizièmes. Texte de Jean-Luc A. d’Asciano publié aux éditions Passage Piétons. Mise en scène deThibault Amorfini. Avec Marion Amiaud et Pascal Nawojski, Musique d' Aurore Juin

    votre commentaire
  • Petite Mystique de Jean Genet, préface…Jean Genet n’est ni homosexuel, ni palestinien. Par ailleurs, il ne se nomme pas Socrate, ce qui exclut son appartenance à la gent féline. Pourtant, hormis chez les gens de théâtre, Genet est principalement un auteur adjectivé : la majorité des textes critiques portant sur son œuvre le présente comme homosexuel, extrémiste de gauche (voire de droite !), propalestinien ou encore retrace avec plus ou moins de minutie une vie en forme d’icône glamour délicieusement scatologique. Hors la monumentale analyse de Sartre, l’impeccable biographie d’Edmund White et le travail bibliographique d’Albert Dichy, Genet se voit dorénavant pris en otage par une part de ses actions ou de ses mœurs, mais ne semble plus vraiment lu pour lui-même – ses admirateurs le transforment en argument au service d’une cause unique, ses détracteurs l’attaquent après une lecture qui pourrait s’autoriser d’être partiale, mais qui se révèle surtout partielle. Or, je le crains, Genet n’est la voix militante d’aucun groupe : si l’homme avait ses prises de position, son œuvre est autrement complexe que ces dernières, elle demeure singulière et de cette singularité sourd un militantisme qui dépasse toute fratrie, tout clan politique, toute orientation sexuelle. Genet est un sujet qui ne cède pas, une voix qui, si elle devient militante, l’est sur un plan universel, s’appuyant alors sur des concepts liés à la sainteté et au scandale.
    Ce scandale, qui entoura tant l’œuvre que l’auteur, est perçu de différentes manières selon l’adjectif qui lui est accolé. Le scandale le plus récent est politique, il est lié à l’extrémiste qui, après s’en être violemment pris au colonialisme (Les Paravents ne put être joué que sous la protection d’un cordon de CRS), a soutenu les mouvances les plus nauséeuses de l’extrême gauche : « Violence et brutalité », article défendant le terrorisme et la « bande à Baader », paru le 2 septembre 1977 dans les pages « points de vue » du Monde, provoqua un tollé général 1. À cela s’ajoute bien sûr son soutien aux Black Panthers et aux Palestiniens, double engagement dont l’association systématique (et parfois douteuse) en fait pour les uns le saint défenseur des opprimés, pour les autres un manipulateur savant de ces mêmes opprimés qu’il ne défendrait que par détestation de leurs soi-disant « oppresseurs ». Finalement, cette ambiguïté même n’aurait pas déplu à Genet qui assumait difficilement le rôle de tribun des déshérités. Ce scandale-là n’a que peu à voir avec son œuvre : Les Nègres fut écrit douze ans avant son engagement pour les Black Panthers, et Un captif amoureux, ouvrage posthume traitant frontalement de politique, est d’une densité et d’une complexité telles qu’il est difficile de croire que ce captif soit très amoureux des idéologies politiques ou religieuses qui sous-tendent ces causes. Surtout, ce scandale est par trop temporel : il apparaît alors que Genet a écrit ses grands textes, après que Cocteau l’a découvert, après que Sartre l’a sacré de sa biographie. Enfin, il se dissipe déjà : les pièces de Genet sont parmi les plus jouées du répertoire français, et cela fait longtemps qu’elles n’attirent plus les foudres du public ou de quelconque censeur idéologique.
    L’apologie de l’homosexualité et du crime fit elle aussi, en son temps, éclat – avatar parmi d’autres, Notre-Dame-des-Fleurs fut interdit de publication en Allemagne, entre 1960 et 1962. Cette double thématique est dorénavant d’une banalité épuisante : Genet serait maintenant l’invité dévalué de médias en mal de « déviance », le monstre se transformant en animal de foire, en caniche à peine grognant.
    Pourtant, encore, dans cette double apologie, quelque chose ne passe pas. Tout d’abord, même si Genet est réellement l’une des voix de l’homosexualité, ou encore le créateur du premier et à ce jour seul grand personnage de travesti de la littérature mondiale, son discours sur la sexualité est scandaleux pour tous. Sartre ne s’est pas trompé lorsqu’il déclare : « Mon casier judiciaire est vierge et je n’ai pas de goût pour les jeunes garçons : or les écrits de Genet m’ont touché. S’ils me touchent, c’est qu’ils me concernent, c’est que je peux en tirer profit ». L’œuvre de Genet, en tressant sexualité et crime, transgression et désir, vise un point d’identité sexuelle qui ne se situe pas comme homosexuel ou hétérosexuel, mais comme pulsion incandescente et infréquentable. Il travaille là où s’élabore le fantasme, là où le désir, n’ayant pas encore décidé entre sujet et objet, est carnivore, mortifère, dangereux, parfaitement infernal. Que ce désir soit ici homosexuel permet de donner à l’œuvre de Genet un paysage narratif – tantôt sociologique, tantôt exotique – et une tension dramatique qui n’est pas à minorer, mais qui permet surtout de leurrer le lecteur. Ce qui est scandaleux, ce n’est pas l’homosexualité, mais la promiscuité de la mort et du désir, axiome sans doute banalement freudien mais qui demeure, en littérature, terreau des plus belles tragédies.
    Quant au mal évoqué, il demeure problématique pour des raisons qui tiennent tant de la métaphysique que du style. De la métaphysique tout d’abord, et c’est volontairement que la question de la morale n’est pas ici évoquée, car Genet et l’interlope, ou Genet et le mal, ce n’est pas Genet et la morale. Genet, certes, donne la parole aux criminels, aux délinquants surtout, et son amour pour eux va jusqu’à jouer d’un retournement des valeurs, quelque chose comme « j’aime ceux que vous réprouvez parce que ce sont des scélérats, j’aimerai donc leurs crimes ». Communément, Genet est lu comme un auteur faisant l’apologie du mal. On pourrait arguer longuement sur cela : décrire l’interlope, est-ce un appel à le rejoindre ou une manière de l’absoudre ? Mettre en scène les acteurs du mal, avec sympathie voire complaisance, est-ce être immoral ? Ne nous y trompons pas : la morale est toujours sauve chez Genet. L’assassin est exécuté, le voleur emprisonné, leurs vies sont sans espoir et, malgré une débauche de sexualité, plutôt sans plaisir.
    Genet n’est pas non plus fasciné par ce monde : il n’est jamais dupe de ses personnages, de leur laideur, de leur solitude, de leur détresse aussi. Il n’est jamais dupe de sa propre opération alchimique. Pompes funèbres, ce texte le moins et le plus mal lu de Genet, est révélateur de son rapport tant au mal qu’à la morale sociale : un milicien a tué l’homme qu’il aime, un résistant, Jean Décarnin. Genet ne peut faire le deuil de son amour. Il ne peut non plus haïr les miliciens : ces derniers subissent la réprobation des Français libérés, et Genet ne se sent aucune affinité avec ces deux termes. Pour accomplir son deuil, il doit donc écrire un livre du point de vue du milicien. Il ne s’agit pas de pardonner le milicien, ni d’être fasciné par le mal qu’incarne ce dernier (confondre la fascination des personnages avec le point de vue de l’écrivain est d’une naïveté insupportable), mais bien d’accomplir un deuil en donnant la parole aux différents protagonistes de l’interlope.
    Le deuil, les réprouvés et la parole : donner la parole aux réprouvés est déjà, en soi, proprement scandaleux. Reconnaître à ces condamnés une forme de beauté, malgré leurs gueules cassées, leurs bouches édentées, leurs puanteurs générales, leurs tatouages médiocres, leurs actes inexcusables, cela jusqu’à leur offrir le statut de sujet parlant demeure maintenant encore difficilement acceptable. Pourtant, si ce n’était que cela, Genet accomplirait un autre de ses discours sociologiques et politiques – défense des immigrés aux côtés de Pierre Vidal-Nacquet, participation active au Groupe d’information sur les prisons animé par Michel Foucault, etc. – mais ce propos ne justifierait pas que l’on prenne au sérieux une quelconque parole sur la métaphysique selon Genet, la sainteté, le sacrifice ou la rédemption. Ce discours acquiert une validité en raison de ses liens avec le deuil et la mort.
    Car le sujet central de l’œuvre de Genet, ce n’est ni le mal, ni la sainteté, la politique ou l’homosexualité, mais bien la mort. Être mort, parler par-delà le monde des morts, donner la parole aux morts. Genet est un janséniste qui se place du côté de ceux dont la grâce a été refusée dès leur naissance. La métaphysique, chez Genet, tient de la radicalisation de sa géographie sociale : l’interlope, c’est le monde de l’abjection, sont abjects ceux à qui la grâce a été refusée. Sans salut dans l’au-delà, ces hommes sont dès le premier jour de leurs vies des cadavres errants, des non-êtres sans avenir. Genet est scandaleusement métaphysique par cette première affirmation – être impardonnable, c’est être mort – puis par sa volonté d’accorder sa grâce à ces bannis du monde.
    Si parler des morts et faire parler du domaine de la mort est un premier scandale, l’autre, et non des moindres, provient de la langue même de Genet. Celle-ci ne se contente pas d’être précieuse, elle fait appel au champ lexical de la poésie et du catholicisme : elle mêle la rose et la Vierge au meurtre et à la merde tandis que le saint et le criminel se confondent en une même posture sacrificielle. Ce jeu formel, où le bien et le mal s’équivalent, n’est pas gratuit : ce style ne résulte pas d’une ruse littéraire découlant d’un habile savoir faire, mais répond à une nécessité qui sous-tend intrinsèquement l’écriture de Genet. Hyperboles et métaphores s’efforcent de faire sens : il s’agit pour Genet de créer une langue dans la langue qui réaffirme à la fois le droit à la parole, le pouvoir du locuteur, mais aussi de l’interlocuteur : être entendu est un préalable à toute grâce. Cette langue est donc opératoire : si sa force poétique permet de nommer les morts, elle devient aussi insistante, radicalement présente. Cette langue, comme chant poétique, comme œuvre artistique s’inscrivant dans l’histoire de l’humanité, devient partie prenante de notre culture : elle nous transforme en interlocuteur abasourdi de ces morts.
    De même, elle permet à l’auteur de transmettre son nom par-delà le néant. Genet, par l’écriture, s’engendre d’entre les morts pour témoigner de l’existence d’une interlope métaphysique, surtout il la désigne comme une fratrie qu’il inscrit dans la famille humaine. Ce terme de famille n’est bien sûr pas innocent : la voix des morts ne peut exister qu’en s’articulant à celle des vivants, et tous n’acquièrent la possibilité d’une parole que par le biais d’une nomination – c’est pourquoi les noms et surnoms agissent ici comme les précipités tant de fantasmes que de formes poétiques. Or, le lieu de la nomination, mais aussi celui permettant une articulation, un gué temporel, génétique et symbolique entre le domaine des morts et celui des vivants, c’est celui de la famille.
    Si l’œuvre de Genet traite des morts et des vivants, comment les noue-t-il au sein d’une même famille ? Comment celui qui n’est le fils ni le père de personne, l’orphelin dont le nom se situe dans l’angoisse du néant comme origine peut-il envisager la famille ? Sans famille, sans origine, Genet ne peut être que lui-même et d’ailleurs, d’outre-monde. Le droit à naître, à mourir, à être aimé, le droit d’exister ne sont pour lui et ceux qu’il représente nullement acquis. Cette nécessité de découvrir quelque part la preuve de ces droits les plus élémentaires se révèle à travers les structures étranges, ambiguës, problématiques, des clans et familles ici dépeints.
    Il nous fallait donc interroger ce vaste ensemble qui va de la mère à la mort en passant par l’amour et l’enfance, interroger tant la sexualité que le fantasme et, surtout, comprendre comment tout cela s’organise en un vaste texte dont la clef de voûte est l’apposition d’une signature, laissant alors une œuvre dont le chant tient de l’absolue affirmation de la singularité des êtres. Il s’agit enfin de comprendre comment l’écriture peut devenir un acte opératoire qui, après la contestation de notre monde, réalise les conditions nécessaires afin de proposer une famille passée et future, non pas fantasmatique mais salvatrice, à ceux dont le nom semble issu de l’horreur du néant et de la non-filiation. Là intervient la famille, comme lieu par excellence où s’affrontent la mort et le pardon afin de permettre la parole, la nomination, puis enfin la grâce.


    Petite Mystique de Jean Genet, L'Œil d'or, 2006, 272 p., 13x21 cm -
    Prix p. : 18 € - ISBN 13 :
     978-2-913661-23-3 - essais & entretiens
     


    votre commentaire
  • À ciel ouvert

    Outre que je boitais comme un furieux, force m’était de constater que ma sœur était complètement folle. Pourtant, depuis mon arrivée, j’étais d’une humeur allègre. “C’est l’énergie de cette ville !” m’expliquait Virginia, qui n’est pas ma sœur. “Quand tu es ici, tu sens que tout peut arriver”. Observant son nombril à piercing et son luxueux cache-cœur, je constatais que son muscle cardiaque devait être bien petit et que le cachemire rose n’était pas le propre des êtres kitchissimes des lucarnes télévisuelles. Ils en existaient des en chairs et en os, la répartition de la chair et des os étant par ailleurs inhabituelle : sur un corps vaguement anorexique, des signes d’hyperféminités défiaient les lois de la pesanteur autant que ma virilité. Virginia (en réalité Alice : elle s’était rebaptisée en arrivant aux states. Migrant en Italie, se serait-elle appelée Ombria ?) était fort jolie et pas mal demeurée, d’une idiotie prévisible, à vous donner honte de vos mauvaises pensées. La moindre de mes réponses paraissait d’une ironie cinglante aussi, souvent, je me taisais, d’abord émerveillé de voir les autres amis de ma sœur écouter Virginia avec tant de gentillesse puis terrifié de constater une absence totale, devant une telle machine à lieu commun, de sarcasmes. De plus, son regard légèrement halluciné m’inquiétait et, paranoïaque, je retrouvais cette même expression sur chacun des expat qui m’entouraient. D’où venait cette hystérie sur l’hystérie, ce quelque chose de vaguement mystique caractérisant ces exilés qui, depuis bientôt une semaine, voulait me convaincre de rester avec eux, là, bien au chaud, au cœur du monde et des choses, à New York ?

                Le pire était François. Habituellement, ma sœur sortait avec des amuse-gueules en formes de rugbymen gentils ou de surfeurs urbains. Là, elle avait trouvé un has been du net, un webmaster souffreteux au regard de caniche en mal d’adoption. Mis à part le fait qu’il était Français (pourquoi traverser le monde pour s’acoquiner avec ses semblables ?), j’aurais dû comme à mon habitude demeurer indifférent aux caractéristiques de cet homme qui rendait ma sœur heureuse, ou du moins la distrayait. Pourtant, sa longue apologie de la vie ici, dans cette ville merveilleuse, m’avait été insupportable : il était au chômage, ne fréquentait que des compatriotes, était parfaitement clandestin et désireux depuis maintenant six semaines de trouver un truc pour pouvoir soigner “ses caries à l’œil” - “les toubibs à New York, c’est hors de prix, tu comprends !”. Je m’interrogeais sur la présence ophtalmique de caries à la cornée quand je compris pourquoi ma sœur lui imposait de se laver les dents après chaque repas : il me parlait bien d’hygiène dentaire, de son intérieur corporel. Virginia, elle, travaillait “au black” dans un restaurant français qui la payait uniquement en tips - dire tips lui permettait de ne se poser aucune question sur le principe d’un salaire laissé au bon vouloir des clients. Surtout, comme ce restaurant ne “fonctionnait pas bésef”, les tips étaient maigres. Heureusement, ma sœur pourvoyait aux problèmes d’Alice et de François, assumant la plus grande part du loyer qu’elle versait à leur roouumette, Steve, qui m’avait offert mes premiers bons souvenirs américains.

                “Steve est alcoolique”, m’avait prévenu ma sœur. Je lui avais donc offert une bouteille de calvados (passée en fraude, ne sachant si le calvados était une boisson communiste désireuse d’accomplir un attentat contre le président, mais tout à fait certain qu’il y avait dans sa famille des antécédents psychiatriques) qu’il adopta aussi sec, ainsi que son porteur. Quelques toasts plus tard, nous étions descendu commander cinq pizza au coin de la rue. Les vingt minutes d’attente nécessaire à leurs préparations nous conduisirent dans un bar tout en longueur (seule la porte permettait à la lumière du jour d’y entrer, à condition que celle-ci claque cinq dols pour un verre) ou nous nous trouvâmes être les seuls blancs. La patronne du lieu était coiffée à la manière d’un entraîneur de boxe, son corps assumant le rôle du poids lourd. Au comptoir, ses clients se révélèrent duo comique, l’un étant maigre comme un héroïnomane, l’autre grand comme un tabouret. La patronne baragouina quelque chose qui incluait le nom de Steve, ce dernier lui répondit dans ce même idiome qui n’avait rien à voire avec l’anglais enseigné par Mademoiselle Taraud, mon ex-professeur de langue vivante qui nous traitait, une heure durant et en français, de “plats de nouilles froides”. Par ailleurs, Mademoiselle Taraud ressemblait à la barmaid qui s’appelait, je crois, Hook, mais je peux me tromper. Mademoiselle Hook nous servi deux verres de rhum. Steve dit quelque chose. Elle en servit un à l’osseux, un au petit homme, un à elle même. L’osseux but son verre cul sec, puis tira une guitare de derrière le comptoir et entama un blues, accompagné par les très rythmiques claquements de paume sur zinc de son comparse. J’étais aux anges. Steve me tapa sur l’épaule : je devais finir mon verre car on m’attendait pour la deuxième tournée. Lorsque nous récupérâmes les pizzas (exactement vingt minutes plus tard, soit le temps de deux chansons et de quatre verre), j’étais soul. Je ne touchais nullement aux six graisses & trois fromages (de la junk-food ! comme au cinéma) que nous venions d’acheter mais fonçais dans les toilettes avant de faire une lourde sieste. Assurément, j’avais vécu quelque chose !

                Des joueurs de blues, j’en ai croisé d’autres - dans la rue, dans des bars -, et c’était tout bonnement incroyable. Le moindre de ses musiciens, en Europe, aurait été un gourou des mondes semi alternatifs de la scène musicale. Là, globalement, ils semblaient plutôt mal en point, mais cela participait de l’art de la chose. Je reconnaissais en eux l’archétype du bluesman, et cette reconnaissance provoquait en moi une décharge d’adrénaline joyeuse. “Je veux aller en Louisiane !” gémissais-je alors, rêvant de bayou, de vaudou et d’improbable cookies-party à l’ombre des palétuviers.

                En fait, dans cette ville, j’allais d’émerveillement en émerveillement. À Spanish Harlem des bandes façon MTV faisait du bandana un signe d’élégance et de l’obésité une marque de branchitude. Face à eux, j’étais maigre et fade. Le soir, je découvrais que les gratte-ciel s’éclairaient de lumières chatoyantes, enveloppant Manhattan d’un sentiment de fête et d’opulence, faisant de chaque nuit un Noël éternel. Étrangement, alors que je marchais très normalement à même le sol, ma mémoire recomposait mon parcours en y incrustant des envolées visuelles, comme si mon âme perchée au trentième étage (enfin débarrassé d’un vertige qui me l’avait toujours chevillées au corps), contemplait mon petit être en costume attendant bravement que les feux jaunes passe au Walk. Prenant un café à Little Italy (des bonshommes y parlaient bien un italien du sud), j’écoutais les bruits de la ville, discernant avec satisfaction le hululement des sirènes et trouvant, au ciel, ces hélicoptères particulièrement urbains, futuristes et désirables. Moi aussi, dans mon firmament, je voulais des jouets vrombissants. Et lorsque je reprenais ma marche, je boitais. Or, je le compris très vite, ma douleur me rendait exotique : j’étais pleinement l’un des acteurs de cet incroyable grouillement qu’est New York

                Car je m’étais tordu la jambe. De manière ridicule. À Central Park. J’avais coursé un écureuil typiquement américain (à Paris, je coursais les pigeons) avant de glisser sur une feuille (disons une feuille) et de me tordre la jambe. Mon genou tant de fois déchiré avait de nouveau implosé. J’avais traîné ma patte jusque dans une pharmacie, désireux d’acheter quelques pommades et une genouillère. Là, un grand noir en blouse blanche, en français, me demanda franchement si j’étais touriste ou clandestin. Lui était sénégalais. Si j’avais été clandestin, il aurait pu me conseiller un médecin arrangeant. Non il n’avait pas aimé la France. Oui, ici c’était mieux. Ses raisons me paraissaient plus concrètes que celles de mes amis, mais je n’étais pourtant pas plus à l’aise. J’avais l’impression qu’une amitié était soudain possible, quelque chose d’incongru et de très narratif. Je savais pourtant que tout le monde ici surjouait les rapports humains, mais je me prenais quand même au jeu. Finalement, je me sentais chez moi, ici, au cœur du monde. Au nombril du monde, susurra ma voix intérieure. Nombril, pas cœur. Et n’oublie pas le piercing.

                Les jours suivants, j’allais dans des boîtes mythiques, suivis les traces de Warhol, me pris pour un beatnik et abusais des cabs, me créant tout un univers procédant autant d’un Macadam cow-boy que d’une Il était une fois l’Amérique. Puis, comme je mangeais un peu trop d’hamburgers géants, un soir, je me retrouvai à dîner avec Paolo, propriétaire d’une voiture directement importé d’Europe, dans un restaurant luxueux et sans fenêtre. Cela me laissa perplexe. Paolo s’était marié, quelques années auparavant, avec Tania, une jolie Russe parlante quatre langues. Paolo était heureux de discuter en Italien, moi de cesser mon baragouin anglais. Nous parlâmes de choses et d’autres tandis que François, ma sœur et Tania conversaient entre femmes. Rapidement, j’éprouvais à la fois un sentiment d’excitation et de grande colère : Paolo n’était pas recommandable. Mais il me glaça totalement lorsque, en pleine conversation, il se crispa, le regard vide. Avais-je commis un impair ? Après un silence de quelques minutes, il reprit la conversation : ce n’était rien, m’expliqua-t-il en souriant, j’attendais ma femme. Elle était aux toilettes. Je voulais la voir sortir. Son sourire, alors qu’il m'exposait cela, été parfait. Je regardais ses mains larges comme des battoirs, ses épaules épaissies par le body-building, observais ce restaurant sans fenêtres avec ici où là quelques très élégantes femmes seules puis me rappelais que ma sœur avait vaguement évoqué “les problèmes de jalousie” de Tania et Paolo. Réfléchissant à ce mariage si élégant d’un italo-américain avec une américano-russe, j’eus plein de mauvaise pensée. En même temps, je me prenais un peu pour Scorsese. Cette ville était vraiment trop. Tout pouvait y arriver. Quelle énergie. J’étais réellement excité. Puis je regardais François, pensais à ses dents et à mon genou. Mon excitation tomba. Un serveur m’apporta un autre whisky. Il fallut bien le boire. Le lendemain, je vis des Cadillac et, marchant sur des trottoirs encombrés de gens de toutes tailles et de toutes couleurs, je parcourais Broodway avenue, Chinatown, Gramercy Park et Greenwich village.

                Ma dernière journée, je voulais la passer seul, et sur un pont. J’étais tombé amoureux de ce quartier en partie abandonné d’où partaient les Brooklyn et Manhattan Bridges. J’aimais ces blocs de briques démesurés et délabrés, ces piliers qui enjambaient avec indifférences les rues, cette incroyable vue sur Manhattan, la teinte grise argenté de l’Hudson, l’incongruité des navires qui parcouraient lentement ce bras. J’aimais jusqu’au vent qui, ce jour-là, soufflait sans cesse, me giflant alors que pour la troisième fois consécutive j’empruntais la passerelle pour piéton du Brooklyn Bridge, m’arrêtant à mi-chemin, au-dessus du fleuve, contemplant tour à tour la ville, ses invraisemblables gratte-ciel, les eaux agitées et ce flot ininterrompu de voitures aux capots démesurés. J’avais envi de pleurer. La douleur de ma jambe, semblait-il, me plongeait dans un état aux percpetions extrêmes, désagréables et exaltantes, quelque chose d’à la fois mélancolique et merveilleux, sexuel aussi. Je songeais à ma sœur, la trouvant stupide et chanceuse. J’avais envi de rester là, d’annuler mon retour, de tout plaquer pour me fondre dans cette cité dont je raffolais et que je désapprouvais totalement. J’étais comme amoureux. Mais de quoi ?

                Ma sœur, elle, n’aimait certainement pas cette imbécile qui l’accompagnait. Généralement elle aimait peu : son activité principale était la fuite, d’un pays à l’autre, et les Etats-Unis n’étaient que sa quatrième terre d’adoption. Autour d’elle, j’avais rencontré tout un tas de filles un peu trop belles et parfaitement coincées, incapables de vivre dans leur pays d’origine car fuyant une famille dramatiquement figurée par leur langue natale. Qu’il se compose de suédoises ou d’allemande, ce clan sororal se répétait d’une mégapole à l’autre : ces filles ne pouvaient tout simplement pas vivre dans une nation où l’on parlait la même langue que leur père. Leur grammaire d’origine était une insupportable loi, un incessant reproche, une négation de leur propre prise de parole. Ce cliché, je le connaissais par cœur. Or, je n’étais pas ma sœur et la fuite m’indifférait. Que m’arrivait-il ?

                Les amis de ma sa sœur sont impudiques et exaltés. Quel rapport avec moi ? Un hélicoptère passe au-dessus du pont. Je ferme les yeux. La douleur de mon genou se fait plus vive. New York New York. Puis je comprends. Pour la première fois, les souvenirs que je ramène d’une ville ne sont pas ceux de la ville même, mais de ma propre vie dans cette cité. Je me vois marchant, mangeant, attendant, et tout cela semble extraordinairement intense. Je suis mis en scène. Je me reconnais dans cette métropole autant que dans cette vie, tout comme j’ai reconnu chaque lieu, chaque place, chaque rue visité, alors que c’est mon premier séjour aux Etats-Unis. Reconnaître un espace où l’on n’est jamais allé, n’est-ce pas le propre de la Jérusalem Céleste, du Paradis représenté comme cité ? Être enfin chez soi ? J’ai vu tant de films, tant d’images, tant de représentations de cet endroit qu’il existe déjà en moi, univers de chimères, de narrations prêtes à l’emploi, de sens offerts pour chaque geste. Prendre un café ne renvoie plus à sa propre existence mais à celle de tous les héros que l’on a contemplé buvant ce même café. New York existe déjà dans mon inconscient, y être, c’est être dans ma propre tête, dans l’un de mes réservoirs à fantasme. Tout semble donc important car tout est intense, et cette tension générale est comme de l’amour, faisant de ces exilés fuyant leur langue pour se réfugier dans un inconscient architecturalement déployé des êtres impudiques et exaltés, des amoureux fusionnant avec le moindre passant.

                Me voilà souriant. Notre inconscient collectif est colonisé par une ville miraculeuse, une Jérusalem non pas céleste mais fictionnelle offrant le plus redoutable des rêves. Vivre en vrai comme en vrai, ce vrai des comme si de l’enfance qui englobe mille possibles merveilleusement dénués de l’obligation d’en réaliser ne serait-ce qu’un seul. Cette ville est une drogue subtile et enivrante. Elle permet d’être le héros de sa propre vie en se laissant simplement porter. Arpenter New York revient à marcher à ciel ouvert dans l’espace intérieur de l’imaginaire, celui des vies rêvées plutôt que vécues. Quelle étrange bénéfice cette ville accorde-t-elle à ceux qui s’y installent, me dis-je, un peu triste. Éprouver sans cesse la jouissance d’être son propre fantasme. Cela semble merveilleux autant que mortifère. Cette intensité à la place de toute forme de lucidité rend-t-elle la vie plus agréable ? Je ne sais. Je ne veux surtout pas savoir.

    Le vent se fait plus fort. Mon genou est terriblement douloureux. Demain je serais à Paris. Une opération sera sûrement nécessaire.

     


    1 commentaire
  • La nuit je sors.

     Comme chaque nuit, je suis dans un bar. Avec des amis de circonstance, des connaissances d’après minuit qu’à force de croiser il me faut admettre comme membres de ma vie. Je suis au Redburn, étanchant ma soif avec l’unique vodka au poivre de la ville. Celle-ci est rouge comme le barman est roux et le bar rougeoyant, éclairé par d’anciennes lanternes de passe qui nous transforment en ombres sanglantes de chevaliers saouls. Nous voilà princes de clairs-obscurs, peuple royal et debout maniant le verre et le verbe avec rage et habilité, contant des épopées de buveurs tout en éructant des grossièretés de légendes. J’aime cette odeur de cigarettes et de mauvaises bières, ce brouhaha d’idioties et de lieux communs, cette chaleur du dedans que provoquent les comptoirs et les foules de bars. Je hais le communautaire et j’aime les bars. Je hais la cigarette et son odeur mais j’aime cette addition générale de choses haïssables, cette somme de médiocrité qui se conclut en miracle du rien du tout. J’aime d’une haine violente cette masse confuse de corps d’où s’échappent des visages et des couleurs, ce bruit et cette fumée fulgurée de gestes, de phrases ou de sourires merveilleusement humains. Et au centre de cette chaleur, dissimulée dans ses replis comme un ange ou un dragon, flotte l’idée nacrée que toutes ces répétitions de lieux sont intolérables, entêtantes et magnifiques, propices à un vertige sysyphéen, drogue spatiale composée de bizarreries lumineuses et d’opiacés tabagiques servant de trompe-l’œil où s’évanouir et dans laquelle, chaque soir, je désire me baigner.

    Pourtant ce soir à force de boire ce n’est plus l’amour des minuscules entassés mais bien la haine de la totalité qui l’emporte. Rouge est ma vodka et rouge est mon sang. Un singe de flamme ricane au fin fond du verre que je vide et re-remplis avec une constance de suicidaire. Mes narines aspirent l’odeur des cigarettes d’autrui, mon buste se gonfle, vindicte et puissant, et tous je les regarde comme l’aigle regarde ses proies, avec précision et mépris, un mépris en balancier, changeant d’objet, désignant autrui avant de se tourner de nouveau vers moi. Un mépris versatile, volatile aussi, prêt à se transmuer en quelques secondes en amour diffus, un quelque chose de compassionnelle aussi, entre l’idée de bovidé et celle de saint. Imbécile. Imbécile me dis-je. Imbécile me dit le singe de feu. Imbécile me dit la vodka dans mon sang maintenant deux fois rouge. Imbécile ton verre est vide, reprennent le singe, mon sang et la vodka dans mon sang en un même chœur trinitaire. Va au comptoir. Bois encore. Bois toujours. Alors je m’exécute.

    Puis un coup de trompette annonce bientôt deux heures et plus personne n’est autorisé à recommander. Une fois dehors, avec mes amis interchangeables, il est question d’aller vers une épicerie-boulangerie de nuit, de partir sur le chemin des croissants et des canettes. La quête accomplie, enfin muni d’un peu de rhum, j’abandonne mes compagnons pour me diriger vers le port. Buvant au goulot, j’arrive aux quais abandonnés. Là existe une rampe de lancement pour navire, un reste de chantiers navals. L’une des rampes (la fosse qui descend à pic sous le niveau de l’eau, un mur inquiétant de vétusté qui empêche l’eau d’emplir la déclivité. Sur les côtés, les deux rampes jaillissent en triangle qui se découpe contre le ciel, angle noir sur fond noir) a été prolongée en débarras à outils. Une porte y a été posée, avec un cadenas. J’ai la clef. Souvent, je finis ma route là-bas. Parfois accompagné. Je ne saurais exactement définir mes activités dans ce local glauque, au milieu du vide, avec à proximité une grue géante, des entassements de ferrailles, le quai à bois et l’ampleur du fleuve, attirant, ténébreux, froid, cette masse liquide que l’on entend glisser derrière le mur, la pluie presque permanente de cette ville : tout cela m’apparaît soudain comme un enfer exclusivement personnel. Un enfer que j’aimerais désespérément, un enfer basé sur une répétition simple, primal, évidente : la nuit, je dois être dehors.

    Cette errance est son propre but - le boire, ou le sexe, tout cela n’est qu’anecdote. Je sors par peur que soudain quelque part, dans la nuit, quelque chose ait lieu, quelque chose d’essentielle, et que je ne sois pas là, pour y être, pour en être, pour participer, pour devenir cette chose, cette assomption nocturne secrètement promise à tous ceux qui sortent. Parce que dehors la nuit c’est différent que dehors le jour. Parce que dehors la nuit est le monde des possibles jamais réalisés donc toujours inentamés. Parce que dehors la nuit n’est pas maintenant de jour, ce jour de la réalité, des choses faites, construites, ce jour des choix toujours exclusifs, toujours à l’exclusion des autres choix, des autres vies. Je sors pour vivre mille vies et jamais la mienne, je sors pour l’immortalité des rêves. Aussi, assis à l’intérieur du local, semblable à un clochard de récessions, je bois au goulot dans l’attente du miracle. Tant d’alcool, tant de soirées dans ce local, ou en cafés, ou en bars. Tant de fois des nuits accoudés au comptoir alors qu’arrivent les compagnons de zincs, les uns après les autres, pour s’installer et commander un verre. Et attendre que les yeux se fendent, que les flammes brillent. Qu’importe la perte voilà la magie, celle du virtuel héroïque des cafés où soudain les hommes se sentent frères, où les cols se desserrent et les gestes deviennent plus amples, plus généreux, miracles des alcools et du temps consumés, miracle d’être assis ou debout en communauté, miracle de sentir sa vie couler en soi et hors de soi, hémorragie inverse des vins qui nous apprend que nous sommes mourants mais que pour cela nous devons être vivants, double vérité dont nous sommes si souvent peu sûrs. Je sors car je ne suis pas sûr d’être vivant.


    votre commentaire
  • Cirques

     

     

    Mon père est l’homme le plus fort du monde.

    Ma maison est un château.

    Le cirque ment.

     

    Ma maison est en haut d’une colline, au bout d’une rue isolée. D’autres maisons auraient dû être construites alentours, mais des raisons financières ont stoppé net les travaux. Ici, des trous de tracteurs se remplissent d’eau, faisant office de mare avec têtards et faux moustiques, ceux qui marchent sur l’eau. Je connais les mouches, les moustiques et les libellules : les libellules sont comme les tigres. Elles sont belles, carnivores, et elles mangent les moustiques. Évidemment, je connais aussi les coccinelles ou les sauterelles, mais des insectes qui volent, je sais le nom de ces trois là. Des cousins aussi, il sont comme des moustiques, mais gros et stupides, qui volent mal. Je n’aime pas les cousins. D’ailleurs, les miens, je n’en ai pas. Il y a aussi des habitations à moitié construites, des bouts de mur qui font des forteresses idéales. J’y joue seul ou avec mes chiens, ou avec mon chat. Si ce n’est que mon chat joue rarement : il regarde ou il chasse. Mais il n’est jamais loin.

    Le cirque a débarqué en plein milieu de l’hiver. Un chapiteau bleu était plié dans un camion bleu. L’intérieur du chapiteau est rouge. Des caravanes contennaient des gens. Certaines caravanes étaient des cages avec des animaux. Les barreaux étaient recouverte par des tissus en plastique, comme des nappes de cuisine, avec des dessins représentant l’animal caché derrière. Il me tardaient de les voir. Cette nuit là, je n’ai pas dormi. Les chiens non plus : ils sentaient les fauves. Eux ne sont plus des fauves mais des animaux domestiques. Mon père m’a expliqué la différence. Il est d’accord aussi avec moi, qu’un animal domestique peut redevenir une bête fauve. Cette idée l’a rendu triste. Moi j’aime bien. Je lui ai demandé si le chat est un animal domestique ou une bête fauve. Il m’a dit les deux. Je le savais déjà, mais j’aime bien l’entendre dire. Je lui ai aussi demandé, pour les vaches que l’on mange, il m’a répondu que la vie des herbivores n’étaient pas très drôle. Un drôle de réponse en tout cas.

    Cette nuit-là, il a plu, très fort. J’aime la pluie, aussi bien le bruit qu’elle fait que l’odeur qu’elle dégage. Que le monde dégage après la pluie. Mais surtout le bruit. Il me rassure. Ce sont les nuits ou le chat ne dort pas dehors mais sur mes pieds.

    Le matin il m’a fallu aller à l’école. Ma mère est toujours contente de me voir aimer l’école. Moi je suis toujours surpris que l’on puisse ne pas l’aimer. C’est un lieu simple. Je n’ai jamais compris que l’on puisse trouver cela dur. Mes copains sont Étienne, Boualem et Florence. Étienne est meilleur que moi en sport, pour le reste, je suis meilleur que tout le monde, mais comme je m’en fiche, on ne m’embête pas. Ce n’est pas comme pour Éric : tous le détestent parce qu’il fait premier de la classe, ou chouchou, ou lèche-botte. Une fois, je crois, François m’a traité de léche-botte. J’ai rigolé, puis je l’ai frappé. Il n’a jamais recommencé. L’instituteur m’a grondé, me disant que ce n’était pas bien car il ne fallait pas être violent, mais je n’ai pas été puni. Juste parce que je suis le premier de la classe. Je trouve ça idiot. Après tout, je l’ai quand même frappé. Et puis être premier de la classe, ce n’est pas une excuse – je ne fais rien pour ça. D’ailleurs, autrement, je m’ennuie.


    Extrait de Cirques, publié aux éditions Passage Piétons. 


    votre commentaire



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires